Que reste-t-il de nos jeunesses et de nos années d’allégresse ? Remords ou regrets ? Désillusion ou distanciation ? Le fameux recul de l’âge vient-il de cette âpre nostalgie devant l’affligeant spectacle du vieillissement de nos enfants, de notre doux amour tant chéri et de nos vieux ami.es des premiers jours ? Leurs cheveux blanchissent. Les rides envahissent leurs visages fatigués.
Ce n’est pas si facile de nous retourner sur le chemin qui roule sous nos pieds. Pas sûr qu’il sente la noisette, le thym et le romarin. Nos vieilles âmes sont à repasser quand les chagrins les ont froissées, nos cœurs brisés à recoller quand la vie les a fracassés. Il est un art ancien, le Kintsugi japonais, qui d’un fil d’or fait un chef d’œuvre des mille morceaux d’une fine céramique. Signé de la main du hasard, l’ouvrage n’a tenu qu’à notre désir de vivre.
Nos cœurs redeviennent ces porcelaines diaphanes luisantes au soleil. Les erreurs, les accidents, les handicaps, les malheurs, les deuils, les faux-serments ont fait de nous ces chefs d’œuvres de conservation. Mais si nos ombres s’allongent, c’est pour mieux désigner aux autres les chemins qu’il vaut mieux éviter.
Les dédales de nos destinées se répliquent et se superposent, de telle sorte qu’ils éliminent pour nos descendants les impasses à esquiver. Il n’y a qu’une solution pour sortir de ce labyrinthe mortifère que la société actuelle propose aux enfants de nos enfants. Léguons-leur les consignes de ne pas retourner aux erreurs du passé, de ne pas reproduire l’aporie de nos vies.
Notre génération de boomeuses et de boomeurs décrépits a fait la preuve que la société élitiste de nos aïeux, faite de compétition et de domination, cette société des plus forts, des grosses voix et des grands hommes salvateurs, est un cul de sac, définitivement. Les grands marchés du consumérisme ont ruisselé en vain sur les foules complices de contribuables conservateurs, de contestables combinateurs, de conjurés contestataires et de convives constipés.
Nous en fûmes, ne laissons pas à nos héritiers cette propension que nous eûmes à nous faire enfumer. Ne laissons pas le monde aux mains des assassins. Les héroïnes et les héros que nous attendons pour demain feront un nouveau système de force et d’humanisme, d’égalité et de diversité, de respect et de partage. On a quand même le droit de rêver !