Souffle l’automne ! Frissonne, brise folle, dans les frondaisons froides des bois et des forêts. Le vent frisquet cabriole en muette farandole dans les allées du parc délaissé. Les chevelures des tilleuls de la promenade commencent à roussir. Les bourrasques se jouent des courants d’air en jolis tourbillons. La pluie derrière la buée des carreaux, les réunions de synthèse et de débriefing, les feuilles roussâtres sous les marronniers, les colloques savants aux sinueuses incises, les ruisseaux chantants dévalant des gouttières, les conférences de soutien et les votes de principe, tout cela dévale à la hâte sur le pavé mouillé.
L’automne s’énerve et se donne du mal pour oublier l’été. Les langueurs caniculaires sont tombées dans les escaliers du calendrier. Les téléphones vrombissent. Déjà las de zooms impérieux aux vidéos interminables, des mosaïques de visages déversent de leurs écrans de mornes crues de mots sur les claviers grincheux.
Bientôt les prochaines grèves des transports, les embouteillages du matin et, le soir, les métros bondés. L’automne n’attend pas. Il se jette en avant pour arriver avant l’hiver. Les banlieues coulent vers les centres-villes. Des flots de citadins se précipitent sous le ciel noirci par la crasse de l’ardoise des toits. Les nuages sont détrempés des larmes de la misère du monde. Les gens, essoufflés par les projets de cadrage à recadrer et les comités de pilotage à piloter, soûlés des discours affables de ministres empressés, agacés par les humeurs des journalistes aux conférences de presse, les gens se gorgent comme des forcenés du primordial, du nécessaire, de l’incompressible et de l’inévitable.
Il y a urgence ! C’est évident. Il y a de la crainte aussi dans cet empressement, quelques chose de moite comme la peur. Le bleu du ciel ne s’aperçoit que dans les accrocs de ses haillons effilochés, déchirés par les clochers. Les oiseaux se taisent. Les hirondelles sont parties à tire d’aile avant les oies sauvages. Le vent de l’équinoxe les a poussées vers des cieux délicieux. L’inquiétude monte et perle sur les fronts tourmentés. Les regards se croisent sans se regarder. On prend la parole pour ne pas avoir à se taire.
Les insomnies ne servent qu’à écouter la pluie sur la verrière ou le chuintement lointain des voitures sur le boulevard. L’automne serre nos cœurs d’une molle anxiété. Une petite sueur acide nous vernit l’âme. Qu’importe ce présent dévorant, qu’importe la fatigue fiévreuse, la seule vraie peur est celle de l’avenir. On cherche avec angoisse ce qu’il reste d’espoir. Tout plutôt que d’envisager demain. Tout plutôt que de croiser le regard d’un enfant.