Nous serons tristes en Juin cette année. Nous resterons masqué.es. Il n’y aura pas d’odeur de frites ni de reflets de guirlandes dans les verres. Nos oreilles ne se blesseront pas aux désaccords des guitares et aux larsens de fin de soirée. Les belles ne nous joueront pas ces balades d’été qui font vibrer leurs violons et briller leurs yeux d’envies de danser. Ils ne souffleront pas en gonflant leurs joues dans des hélicons improbables, ni ne battront leur colère d’être noir sur la peau de chèvre blanche de leurs tam-tams bombés.
Elles ne balanceront pas leurs robes de couleur en remontant vers le crépuscule du bout de la ruelle. Ils ne rentreront pas le long du caniveau, en chantant pour tromper leur ivresse. La musique ne fera pas la fête. Comme une odeur de deuil se mêlera à celle des fleurs. Quelques enfants amoureux tenteront d’occuper la fin d’un jour sans fin, en marchant dans la nuit se tenant par la main. Et nous resterons masqué.es.
Ce fichu corona a étouffé nos ancien.nes par bataillons entiers et asphyxié pas mal de nos vétéranes, emmurées dans leurs dizaines de milliers de solitudes sans larmes, au fond d’univers de draps verts, traversés de visages masqués anonymes et épuisés.
Le corona est là, à nous regarder prendre le train, travailler toute la journée, faire les courses ou le marché. Il rigole avec nous quand on fait la fête et s’invite sans vergogne si on a des ami.es à dîner.
Alors ne baissons pas la garde ! Restons masqué.es, mais vigilant.es ! Les grands de ce monde ont compris la leçon : ils ne nous reconfineront pas. Ils y ont laissé des plumes et ça, ils ne le supportent pas.
Pas de manque à gagner. Ils font repartir leurs planches à billets, pour remplir leurs corbeilles et regonfler les bourses des actionnaires frileux. Ils veulent que ça recommence, mieux qu’avant : plus vite, plus loin, plus fort ! En vitrine, ils laissent leurs communicants présidentiels nous endormir les neurones de délicieuses promesses et leurs sirènes de la télé nous chanter d’envoûtantes litanies. « Il n’y a presque plus de malades, ni de morts, ayez confiance, revenez au travail, ce ne sont que des vieux, ils ont fait leur vie, ils coûtent un pognon de dingue, profitez de la vôtre, profitez des vacances, profitez des aspirateurs sans sac, profitez des soldes, profitez d’être en vie ! »
Pendant ce temps, des lits d’hôpitaux recommencent à fermer, des usines à délocaliser et les flics à passer à tabac des blouses blanches, faute de gilets jaunes. Ils recommencent à détruire le monde de nos enfants.
Restons masqué.es, mais restons vigilant.es ! Ne masquons pas notre colère.