Trahison ultime des placements en EHPAD !
Dans une grande salle ensoleillée de larges baies ouvertes sur de luxuriants massifs fleuris, c’est l’heure du repas. Une assemblée serrée autour des tables aux nappes immaculées. Rien que des têtes blanches, hésitantes, tremblantes et silencieuses. Les regards se fuient. Le personnel aux blouses colorées garde une affabilité de circonstance. La trahison plane. Le regroupement de toutes ces femmes (à peine un quart d’hommes seulement) ridées, chenues, tordues, ne les maintient solidaires que dans leur lassitude et leur tristesse.
Les EHPAD sont des univers concentrationnaires. Qu’ils soient de confort précaire pour les plus populaires ou dorés sur tranche, tel des « Hilton » de la vieillesse, on y regroupe, on y concentre les vieilles, devenus trop moches, trop cacochymes, celles qui font taches sur les photos de famille. Évidemment, elles racontent toujours les mêmes choses. Mais ce sont des morceaux de vie, des pans de leur propre existence que leurs voix chevrotantes offrent au passant gêné. Elles ont rompu depuis longtemps le pacte de l’injonction à la beauté désirable en abandonnant leurs corps noués au mépris social.
Dans les bonnes familles, elles ne sont plus depuis longtemps un spectacle pour les enfants. Elles ont trimé, frotté, nourri, soigné toute leur vie. Mais quand elles ne sont plus que le souvenir de leur histoire, on les réduit encore au silence.
Qui recueillera leurs savoirs et leur sagesse ? Qui conservera ces pépites de vie qui enrichissent tant les descendances et fortifient les destinées ? Le placement à l’EHPAD les engloutit dans un monde du silence où, résignées, elles attendent la mort.
Les familles viennent les voir pour se convaincre que tout va pour le mieux, dans le meilleur des dénis. Nos vieilles cachent derrière leur sourire contraint la honte qu’elles ont de la lâcheté de leurs propres enfants. Ceux-ci resteront de zélés consommateurs d’une société malsaine, adorateurs hébétés de leur jeunesse passée, dont il ne leur reste que l’égoïsme. Le nombre des personnes rejetées, pêle-mêle le handicap et le grand âge, va augmenter exponentiellement dans l’avenir. Ne leur réservera-t-on que cette ultime trahison ? Vive la république exclusive !