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AVIS DE TEMPÊTE par Olivier Manceron, 20/04/24

Fermez les yeux sur l’avenir, sauf les aveugles, bien entendu ! Laissez l’obscurité gagner le passé et le voile de l’inconscience se tendre sur le présent. Alors le vent se lève. L’horizon vomit des nuées au ventre de plomb, lourds tels des fers à repasser pour écraser la mer. Alors,  elle souffre mille morts. La houle hurle et crache des lames de rasoir luisantes d’acier trempé. De rage, elle s’acharne à scarifier le ciel et à découper les mâchoires noires des grands récifs, dinosaures édentés qui, debout sous les coups, lui dégorgent au visage leurs embruns salés.

Le vent bat la mesure d’un chant barbare sur le tambour géant des explosions des vagues contre la jetée. L’ombre a avalé les bateaux du port. Seul le crépitement des gréements,  petites dents tremblantes des fantômes, font des castagnettes de terreur immobile dans le noir. Siffle le vent, vocifère la mer, s’esclaffent les rochers. Les vagues se retirent en cataracte de galets et reviennent en gerbes si hautes qu’elles éclairent la nuit blanche d’un stroboscope spectral effrayant.

Aboyant à tue-tête pour couvrir les braiments du vent, la rage des éléments déchire la chevelure de vieillarde hystérique de l’écume sur les moindres aspérités du rivage. La Nature a repris le pouvoir et donne l’impression qu’elle ne le lâchera plus. La nuit, le vent et la tempête. Plus rien qu’une immense colère qui semble vouloir laver les souvenirs de toutes les misères. Qu’elle choisisse le calme d’une pluie froide, incessante, méprisante, qui remplit les flaques, les rivières et les rues, qui inonde les caves, les salons et les chambres d’enfants, qu’elle choisisse les submersions implacables, les débordements insalubres, les marécages saumâtres ou les déluges excrémentiels qui accessoirement engloutissent les animaux innocents aux ventres gonflés, l’eau lave.

Dans son désir amnésique, elle dilue, délie, délite, détruit. Rien ne lui résiste. Elle engouffre, effondre, efface. Sa gloutonnerie a déjà absorbé tellement de châteaux et de forteresses, ravagé tellement de cités antiques et de civilisations perdues, noyé des camps de la mort et des champs de massacre dans la boue de l’oubli. Elle en a submergé des Atlantides mythiques, des galions chargés d’or et des Titanic mondains perdus corps et biens. L’eau ne garde pas la mémoire de ce qu’elle a baigné, malgré les affirmations charlatanesques de quelques homéo thaumaturges. L’inondation et la tempête ont un but commun : laver le sang, les larmes et les souvenirs, faire disparaître à jamais la cruauté et la stupidité suicidaire de l’humanité.

 

 

 

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