Si la sagesse était populaire, le bon sens serait-il commun ? Malheureusement le consensus est un marais tiède, où ceux qui s’y enfoncent ne cherchent plus jamais midi à quatorze heures, pour ne pas le perdre à leur porte.
Quand la vie coule sans tourbillon sous les piles du pont, la sagesse est facile. Pas d’épreuve, pas d’épave où le regard s’écorche. Ne pas voir le mal, ne pas l’entendre, ne pas le dire, les trois petits singes de Confucius répètent depuis la nuit des temps que semer le vent récolte la tempête.
Ne cherchons pas la petite bête, elle sera trop grosse à avaler. Développons notre « Moi intérieur » pour rejoindre l’ordre, la beauté, le luxe, le calme et la volupté. Pas d’alarme et le petit oiseau fera son nid. Si les nouvelles sont mauvaises, si de vieux amiraux viennent nous raconter qu’il faut se préparer à voir mourir nos enfants, l’angoisse compulsive nous fait scroller plus vite de l’index sur le miroir aux alouettes des réseaux sociaux. Les médias sont des alcools forts et addictifs.
« Qui a bu boira !» Le mélange angoisses-mensonges, avec juste un zeste de proverbe ancien, est une remarquable défonce cérébrale. On cherche un fond de vrai dans tout ce fatras de post-vérités, même s’il n’y a plus de saison, ni même d’hirondelle pour croire encore au printemps.
Tout à coup, dans une déchirure de brouillard de barbe-à-papa, surgit la réalité. En France, plus de 600 nourrissons victimes de violences sexuelles selon la Ciivise, en plus des 160.000 mineur.es victimes de violences sexuelles chaque année, bien sûr surtout des filles. C’est insupportable, inaudible, rapidement imperceptible. Il faut dire que chacun a ses chiffres. Les statistiques sont domestiquées, dressées à ne rapporter que ce qu’elles ont appris. Petites lunettes et complet veston, assis derrière leurs micros, jeunes et vieilles barbes expliquent que tout n’est pas perdu, que chaque moine fait son habit lui-même, qu’il vaut mieux guérir sans prévenir et qu’on ne fait pas d’omelette sans voler un bœuf. Si derrière toutes les barbes il y avait de la sagesse, les chèvres seraient toutes prophètes !
Nos yeux s’écarquillent et pleurent sur les femmes qui meurent sous les coups de leurs amants, sur les gens qui crèvent de froid dans les rues, sur les armes produites en masse pour nos fils qui vont devenir fous, dans ces guerres fomentées par de vieux ogres enragés de pouvoir. Heureusement les orateurs du bonheur, nos caresseurs du bon sens du poil, bercent nos cœurs d’une langueur mentale, nos deux oreilles bien collées sur l’oreiller.